Oreste ou le roman sans fin

« L'après-midi les jeunes du quartier organisaient des combats de boxes et des luttes dans le jardin d'un de nos camarades. Dès les premiers coups que je donnai, je compris que ma force était incontrôlable : je tordais le bras de mes adversaires sans effort, les plaquais au sol tout de suite, les soulevais ou les  jetais contre la terre fraîchement remuée du jardin. Mes poings faisaient saigner les nez, enfler les joues, sauter les dents.

Dans les combats contre les bandes des autres quartiers je remportais la victoire à moi tout seul ou presque. La rumeur se propagea bien vite. Les plus forts venaient me défier. Je ne perdais jamais.

Ces luttes étaient assez fréquentes. Tous les garçons venaient me voir, les uns attribuant ma force à ma constitution physique, les autres au fait d'avoir travaillé l'été comme débardeur au port et comme ouvrier dans le bâtiment.

Je cherchais sans cesse d'autres rivaux .

Un jour je n'en eus plus aucun. Le temps passait. Ma patience était mise à l'épreuve : j'avais soif de vaincre. Je provoquais n'importe qui. Je cherchais n'importe quel prétexte pour attaquer. Mais tous baissaient la tête, refusant de répondre à mes défis


...Cet après-midi-là, au cours d'une bagarre difficile contre un autre quartier, je me laissai faire prisonnier. Rien n'était pire que cela. Il valait mieux abandonner ses armes et s'enfuir que de se faire prendre. Personne ne l'avait été. On me déshabilla, on me colla de l'étoupe sale sur tout le corps. On me promena de quartier en quartier en se moquant de moi et en me montrant du doigt. Une foule de jeunes suivaient le cortège. Enfin ils me conduisirent dans un bois. Ils m'allongèrent dans l'herbe et, l'un après l'autre, ils passèrent par-dessus moi et me crachèrent au visage. Puis ils me lancèrent des pierres.

Chacune d'elles blessait mon corps, pénétrait profondément dans ma chair, la déchirant comme une vieille chemise. Sous la vieille chemise apparaissait la nouvelle peau... »

Ainsi commence le roman sans fin de Démosthènes Davvetas, écrivain oh combien hétéroclite de la nouvelle génération d'auteurs grecs, de ces auteurs pour lesquels le passé  grandiose, imposant donc pesant de la Grèce n'est pas un poids mais bien une source infinie d'inspiration. L'âme humaine est disséquée, nos travers  mis à mal et nos qualités un brin encensées.


Démosthènes (voilà bien un prénom chargé lui-même d'une histoire lourde et conséquente ! je laisse à chacun d'entre vous le soin d'aller « fouiner » dans le passé de ce compagnon d'Alexandre dont les objectifs n'étaient pas toujours clairement déterminés !).
 
Notre Démosthènes Davvetas, lui, est né le 6 mai 1955 à Athènes ; un certain temps basketteur,  des études de droit en poche avant de devenir critique d'art pour notre journal français « Libération », puis retour (définitif ?) en Grèce où il s'adonne à sa principale passion : l'écriture de poèmes, de romans, d'essais d'art.
 
Ses thèmes de prédilection : l'irréel, une vision « cubiste » des choses et des êtres, un imaginaire « surdéveloppé » dont les héros ordinaires sont des adolescents aux rêves d'absolu. Davvetas s'est crée un univers de personnages aux références mythologiques évidentes mais qui évoluent dans notre monde moderne aux limites du paradoxe et du paroxysme.

« Oreste ou le roman sans fin » est une suite sans lien apparent de quatorze petites histoires où les protagonistes, de jeunes adolescents, évoluent à travers leurs jeux cruels faits de rapports de domination : sexe et fantasmes enfantins sont les fils conducteurs de ces histoires qui finissent par n'en faire qu'une : obsessionnelle, indéfiniment redite, répétée et tout à la fois changée. L'auteur se prête lui-même à ce jeu du persécuté et/ou du persécuteur...

Cette lecture  pourrait au départ apparaître malsaine et voyeuriste, il faut dépasser ce cap car très vite l'énormité de ces fantasmes enfantins nous emmène vers le rire et la dédramatisation de ces jeux pseudo pervers !

Parmi les autres titres de Démosthènes Davvetas : « La chanson de Pénélope », « L'exécuteur et autres nouvelles », « Ο ιδανικος εροτας » (« L'Amour idéal »).
« Oreste ou le roman sans fin » Flammarion coll. Textes

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