Notes d'Hervé Lobry sur le Mont ATHOS

Publié le par AFH19

NOTES SUR LE MONT ATHOS




Le Mont Athos est inscrit  sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO depuis 1988.
«  Sainte Montagne » ( Aghion Oros ), « jardin toujours renaissant de la Vierge ( Panaghia ) », « montagne perpétuellement peuplée bien que ne s’y produise nulle naissance », « paradis de saints vieillards », « cœur d’un autre temps »… Chaque roche, chaque source, chaque colline, chaque vallée a sa légende ou son miracle…
Le réel et l’histoire aussi. Les paysages, leur beauté et leur sérénité. Monastères, skites et ermitages. Richesse, opulence et générosité. Lumière, prière et contemplation.
« Le sentiment du sacré est-il un sentiment uniquement religieux qui impliquerait de croire en telle ou telle divinité ou un sentiment panthéiste englobant dans son déploiement le monde tout entier et seulement le monde ? » ( Jacques Lacarrière )


I. GEOGRAPHIE


Eperon oriental de la presqu’île de Chalcidique, à environ 150 km à l’est de Thessalonique.
60 km de longueur, 8 à 12 km de largeur.
Sommet de la presqu’île : Mont Athos, 2033 m d’altitude.
20 monastères dont la plupart répartis sur ses rivages.
Un espace où nature, traditions, croyances et rituels se perpétuent intacts depuis plus de dix siècles.


II. HISTOIRE


VIIième siècle de l’ère courante  
Islam ( hégire : 622 )
Moines chassés de leurs lieux traditionnels de retraite ( Cappadoce, Asie Mineure ).
Vaste mouvement d’immigration de Syrie et d'Asie Mineure vers l’ouest ( Grèce ).
Heurts entre les nouveaux arrivants et les bergers qui faisaient du Mont Athos un espace de transhumance.

885
Chrysobulle de l’empereur byzantin : accès du Mont Athos interdit aux bergers, droit d’y habiter réservé aux seuls moines.

Xième siècle

La presqu’île devient « Sainte Montagne »

Fondation de Karyès ( village capitale ), des monastères de Xénophontos
( les noms
de monastères sont tous au génitif, selon une habitude courante en Grèce) et de Xéropotamou.
 

                                            Xénophontos                                                                           Xéropotamou
963
Construction du catholicon  ( église ) du monastère de Méghisti Lavra ( La Grande Laure )                                                       .

972
Monastère de Vatopédi ( « L’enfant au framboisier » . Il s’agit de l’enfant de l’empereur Théodore trouvé par lui endormi au pied d’un framboisier )
Premiers typika ( dispositions réglementant la vie des moines ).

976

Monastère d’Iviron

( «  des Ibères »,
l’Ibérie étant un nom ancien de la Géorgie).
 



                                                      
980
Monastères de Zographou et de Karakalou.




















990
Monastères de Philothéou et d’Esphigménou…


1045

Nouveaux typika : organisation cénobitique des couvents + interdiction de toute présence femelle ( animale ou humaine ), de tout enfant imberbe sur le Mont Athos.
La justification de l’interdiction de toute présence féminine réside dans les propos tombés du ciel lorsque Marie se serait échouée sur la rive orientale du Mont Athos alors qu’elle se rendait avec Jean l’Evangéliste à Chypre pour y rencontrer Lazare : «  que cet endroit soit à toi, soit ton jardin et ton paradis, et plus encore un havre de paix pour tous ceux qui veulent leur salut » .

1054

Après la querelle du « filioque » ( la question était de savoir si l’Esprit Saint procédait du Père, ou du Père et du Fils… ), schisme entre Rome et Constantinople.







Le pape Léon IX et le patriarche Michel Cérulaire
s’excommunient l’un l’autre.













Saint Léon IX pape (1049-1054) et
Michel Cérulaire, patriarche de
Constantinople, miniature tirée
d'un manuscrit grec du XVe siècle,
Bibliothèque nationale, Palerme


L’Eglise byzantine respecte une seule vérité, celle découlant des conclusions des sept premiers conciles œcuméniques.



1060

Chrysobulle de l’empereur Constantin Monomaque : le Mont Athos est interdit à
«tout animal femelle, toute femme, tout eunuque et tout visage lisse ».







1204

La quatrième croisade déferle sur Constantinople, occupée pour la première fois par des étrangers. Constantinople devient capitale d’un empire latin pendant plus de cinquante ans.
Aide effective du monde balkanique ( Serbie, Bulgarie ).

1259-61






Michel VIII Paléologue, le vainqueur des Latins, prône sans succès durable la réconciliation des deux Eglises devant la nouvelle menace représentée par les Seldjoukides.






1430

Prise de Thessalonique par les Ottomans. Le Mont Athos se place sous la protection de Murad II et cesse de faire partie de l’empire byzantin.

1453

Prise de Constantinople par Mehmet II.




1529

Vienne assiégée par Soliman le Magnifique.







XVIIième siècle

Soutien russe.

1821
La Grèce se libère du joug ottoman. La souveraineté hellénique s’exerce de facto sur le Mont Athos.

1912

Délitement de la Sublime Porte. La souveraineté hellénique s’exerce désormais de jure sur le Mont Athos. Les moines cessent d’être des sujets ottomans.
 
1917
Révolution russe.


III. INSTITUTIONS

972
Premières dispositions réglementant la vie des moines ( en grec, typikon au singulier, typika au pluriel). Souci de préserver la presqu’île de toute intrusion du monde profane.

1045, 1394, 1783, 1810

Nouveaux typika apportant plus ou moins de rudesse, demandant plus ou moins d’endurance, mais avec toujours pour objectif l’ascèse du moine. Le modèle d’organisation monastique est schématiquement : 8 heures de travail, 8 heures de prière, 8 heures de sommeil.

1924

Charte ( katastatikos Chartis ).
Son article 186 précise : «  l’entrée de femelles est interdite en accord avec la coutume, et ce, depuis toujours », en contradiction avec les habitudes occidentales…

1926

Ratification de la Charte par l’Etat grec.

1975

Nouvelle constitution hellénique.

Janvier 1981

Une petite phrase est incluse au traité d’adhésion de la Grèce à l’Union Européenne pour affirmer que la Sainte Montagne gardera en Europe le statut que la Grèce lui avait reconnu.

Le Mont Athos est une République élective où démocratie et autorité spirituelle font apparemment bon ménage : «  territoire autonome auto-administré », république théocratique partie (?) de l’Etat grec mais placée sous la protection ou dépendant (?) du  patriarche de Constantinople, citoyen turc habitant Istanbul…







Capitale fédérale : Karyès .






Pouvoir législatif : Sainte-Assemblée , composée des supérieurs ( higoumènes ) des 20 monastères du Mont Athos. Elle se réunit deux fois par an.

Pouvoir exécutif : Sainte-Epistasie, composée de quatre membres ( épistates ) mandatés pour un an par 5 des 20 monastères du Mont Athos. Elle a à sa tête un Président ( prôtos ). C’est elle qui délivre aux pèlerins le formulaire de recommandation auprès des couvents ( diamonitirion ) sur lequel sont apposés les quatre quarts du sceau ( un quart par épistate ) de la Sainte-Epistasie  .
Aux côtés de la Sainte-Epistasie  se trouve un gouverneur civil, nommé par le Ministère grec des Affaires Etrangères, ayant rang de préfet, pour gérer les affaires administratives de la Sainte Communauté, responsable de l’ordre public et de l’application de la Charte.


IV. POSSESSIONS


Les couvents ne purent êtres fondés et prospérer qu’avec l’aide des dons d’empereurs et de riches propriétaires. Il leur ont ainsi été octroyés des terres cultivables, comprenant parfois des milliers d’hectares, en Grèce et hors de Grèce. Ces possessions des monastères sont appelées métochis.


V. COUVENTS


Sur le Mont Athos, 20 couvents ont le statut de monastère, avec à leur tête un higoumène.

Ressemblant à un monastère, mais n’en ayant pas le statut, 12  skites  ( du grec skiti au singulier, skitès au pluriel ), chaque skite étant rattachée à un monastère.Skite de Ste Anne

Dépendant d’un monastère ou d’une skite :
- des fermes isolées ( en grec, kellion au singulier, kellia au pluriel ) disposant de terres arables,
- des fermes isolées ( en grec kalyvia ) sans terres cultivables,
- des ermitages, encore appelés hésychastéries.

Chaque couvent est entouré d’un mur d’enceinte fortifié. Il a son église :
- catholicon ( pluriel catholica ) pour les monastères, souvent peint en rouge en mémoire de la Passion du Christ et du sang des martyrs,
- kyriakon  pour les skites et les fermes isolées.

Chaque église est entourée de divers bâtiments :



- une phiale ( réserve protégée d’eau bénite),
- une hôtellerie ( en grec, archondariki - pour les pèlerins ),
- un lieu d’accueil pour les visiteurs ( xénôn ),
- une cuisine ( hestia ),
- un réfectoire ( trapéza ),
- des entrepôts,
- des cellules,                                       
- etc.                                                                            PHIALE
et dispose d’un port  ( arsanas ).


VI. ICONOGRAPHIE


L’art de peindre les églises et les icônes est une des expressions les plus éloquentes de l’engagement chrétien des Hagiorites.

Le répertoire des sujets et des personnages saints, le vocabulaire et les techniques de représentation sont depuis des siècles parfaitement maîtrisés par les moines grâce à des guides-manuels ( herminias ) ou traités de peinture dont les manuscrits, sans cesse recopiés, ont été jalousement gardés et suivis à la lettre par les peintres du Mont Athos.


VII. MOINES


Rappel : le mot monachos ( moine ) à l’origine désignait un solitaire… un réfractaire à la loi commune des autres hommes, un insoumis ne reconnaissant que la seule loi divine. «  Il y a sûrement de la naïveté mais aussi beaucoup d’orgueil en cette recherche obsessionnelle du retrait, cette prétention à rencontrer Dieu pour soi seul » ( Jacques Lacarrière ). Qui veut faire l’ange fait la bête ? La vraie vie est-elle ailleurs ?

Les moines ( plus de 2000 aujourd’hui ) viennent de pays orthodoxes du monde entier. 17 des 20 monastères ont essentiellement des moines grecs, les 3 autres recrutent des nationaux d’origine homogène : Chilandari des Serbes ( « monastère des Mille », pour les mille moines qui y auraient été massacrés au moment de la querelle des icônes entre iconodoules et iconoclastes ), Zographou des Bulgares, Saint-Pantéléïmon des Russes. Quant à la skite Prodromou, ses moines sont Roumains.

Dans les kellies ou kalyves vivent des sarabaïtes.

Les gyrovagues sont des moines vagabonds qui dorment et mangent au hasard des monastères et des kellies.






Quelques anachorètes vivent dans le surplomb rocheux de Karoulia ( en grec, les poulies ), au sud-est de la montagne.









A ces moines s’ajoutent des bûcherons ( la forêt est la seule ressource du Mont Athos ) et des muletiers, laïques venus du continent ou des îles avoisinantes et qui vivent à peu de choses près comme les moines par la force des choses.



VIII. DEGRES DE LA PROFESSION MONASTIQUE


Le noviciat dure 3 ans. Le moine porte une soutane noire.

Il accède ensuite au premier degré. Le stade de rasophore dure de 5 à 10 ans . Le moine porte un habit ( rason ) et un  bonnet (skouphos ). Il peut changer de monastère, rentrer dans le monde et se marier.

Il accède ensuite au second degré, celui de stavrophore  ( de stavro, la croix ). Il porte alors le petit habit ( schème ) et un large manteau ( mandyas ). Il est lié à jamais à la vie monastique et à son monastère.

Le troisième et dernier degré est celui de mégaloschéma. Le moine porte un grand habit.. Il est dispensé des travaux manuels  et travaille comme conseiller et guide spirituel.


IX. VOIE CENOBITIQUE

Dans la voie cénobitique ( Règle de Saint Basile ), tout est soumis au contrôle le plus strict. Tout est mis en commun : travaux et repas, prières et habits. La quête du spirituel est liée à la maîtrise du quotidien matériel. Tout s’accomplit sous la responsabilité de l’higoumène, élu à vie.

Dans la voie idiorythmique, chacun conservait une liberté de mouvement relative. Les moines pouvaient posséder objets et valeurs tant que cela ne perturbait pas la vie monastique.
Au sein d’un couvent, les moines étaient regroupés en familles de 5 ou 6 autour d’un président.

Selon la Charte en vigueur depuis 1924, les couvents idiorythmiques pouvaient devenir cénobitiques si la fraternité le décidait, mais l’inverse n’était pas accepté.

En 1976, 13 monastères suivaient la voie cénobitique, 7 la voie idiorythmique.

Tous les couvents suivent aujourd’hui la voie cénobitique.


X. CALENDRIER ET HEURES

Temps rythmé depuis des siècles par la même et très rigoureuse alternance de prières, de repos et de travail.

Les moines athonites suivent le calendrier julien, en retard de 13 jours sur notre calendrier grégorien depuis 1582.

Sur le Mont Athos, 0 heure correspond au coucher du soleil.
Toutefois, le monastère d’Iviron a adopté le système chaldéen ( 0 heure correspond au lever du soleil ) et celui de Vatopédi l’heure européenne.


XI. TRAVAUX ET REPAS


Au sein du couvent, chaque moine a son travail. A titre d’exemples :
- l’anagnostis : lit à l’église et au réfectoire,
- l’archondaris : assure l’accueil des hôtes,
- l’arsanaris : surveille l’activité du port du monastère,
- le dochiaris : cantinier,
- le kambanaris : annonce les offices au son de la simandre,
- le maghiras : cuisinier,
- le pnevmatikos : père spirituel,
- le portaris : portier,
- le trapézaris : chargé du réfectoire,
- le skévophylax : a la responsabilité de la gestion du Trésor,
- le vordonaris : chargé des mules et du transport,
- le vivliophylax : chargé de la bibliothèque ( celle du monastère de Méghisti Lavra contiendrait plus de 2000 manuscrits et de 5000 volumes ),
- etc.

Hors des périodes de jeûne qui durent 125 jours par an, les repas se composent de poisson, de légumes bouillis assaisonnés d’huile d’olive, de fromage ( feta ), d’un fruit et d’un verre de vin rouge.


XII. OFFICES ET PRIERES

Les principaux offices ont pour nom :
- la nuit, office principal d'une durée minimale de quatre heures : nyctérinos,
- aube : orthros,
- laudes : éni,
- none,
- vêpres : espérinos,
- complies : apodipnon,
- vigiles : agrypnia.

S'y ajoutent : prime, tierce et sexte qui peuvent avoir lieu hors de l'église ( sur le lieu de travail ).

Principales fêtes : Nativité et Pâques ( les higoumènes habillés en princes de l'Eglise et tous les moines portent ce jour-là en litanie les icônes sacrées habituellement conservées dans le catholicon ).

Au Mont Athos se pratique en outre la prière dite prière du cœur dont la pratique conduit à l'état hésychaste ( en grec hésychia signifie calme, repos ), tranquillité de l'âme et sérénité du cœur, état proche de ce que les philosophes stoïciens nomment l'ataraxia, absence de tumulte et de trouble dans l'âme et dans le cœur du postulant.

Elle consiste, en s’appuyant sur le rythme respiratoire et les battements du cœur, à prononcer, de façon audible ou en silence, l’invocation : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, ayez pitié de moi » et ce, inlassablement, à toute heure du jour ou de l’état d’éveil.

Comme l’a dit Isaac le Syrien, «  nul n’est jamais monté au ciel confortablement ».


XIII. ALLER AU MONT ATHOS


Pour entrer au Mont Athos et y séjourner les quatre jours accordés à tout visiteur mâle :
- obtenir l’autorisation nécessaire au bureau des pèlerins à Thessalonique,
- aller jusqu’à Ouranopolis et de là prendre un bateau jusqu’au port de Daphni,
- accepter l’intemporalité des lieux et de vivre à un nouveau rythme…


Publié dans Les notes d'Hervé

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K
salut<br /> je voudrai avoir le contact d hervé lobry s'il vous plait
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C
Fe'licitations! J'ai quelques remarques a' faire. Vu qu'elles remplissent deux pages et qu'elles sont formatte'es, je les envoie par email.
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